Les 4 Vérités du Liban

par Essente, -------------------- avec le recul nécessaire pour mieux voir et comprendre. ---- © Essente, 2006.

22 octobre 2006

De l’Assassinat de Hariri au Grand Leurre du 14 Mars

Que l’Arabie Saoudite se soit trouvé dans l’obligation de commanditer le meurtre de celui qu’elle avait auparavant fabriqué de toutes pièces pour servir ses propres ambitions (voir chapitre précédent), ou que l’Amérique l’ait fait pour elle, peut à priori sembler une aberration. Mais en l’absence de toutes preuves, il reste néanmoins permis de spéculer sur une hypothèse qui chercherait à savoir à qui profite le crime:

Septembre 2001 - La carte de route de l’administration républicaine de Georges W. Bush était fin prête, et dans cette carte de route, la Syrie au même titre que l’Iran se trouvait en ligne de mire du combat mené par Bush contre le Terrorisme.

Au Liban, l’opposition passait à l’action, lancée par le Métropolite Orthodoxe de Beyrouth, Elias Audi, qui fut le premier à briser le mur du silence. Les boulets de courage que Audi lançait à la figure de l’occupant Syrien dans des homélies devenues désormais célèbres pour l’éloquence de leur virulence, trouvaient au sein de la population chrétienne des échos favorables. Le discours qui précéda l’inauguration de la Cathédrale Saint Georges au Centre Ville de Beyrouth fut décisif et l’opposition prit ainsi, un ticket de train sans retour.

L’opposition s’organisa autour d’un groupe de députés chrétiens (Kornet Chehwan), du Patriarche Maronite de Bkerké, Mar Nasrallah Sfeir qui prit le flambeau de son homologue Orthodoxe, et de Michel Aoun (toujours en exil à Paris). Cette opposition se focalisa sur le gouvernement de Hariri ainsi que sur la présence Syrienne, et trouva dans la nouvelle conjoncture internationale l’occasion propice d’obtenir le soutien des puissances étrangères. Avec les efforts déployés par Michel Aoun (depuis son exil), la résolution 1559 du Conseil de Sécurité de l’ONU qui allait mettre un terme à près de trente années de présence Syrienne au Liban, cette résolution vit enfin le jour en 2004. Ainsi, après des années de marginalisation délibérée et de brimades commises à son encontre, la communauté Chrétienne opposante se trouva sur le point de réaliser une immense victoire: Celle de la libération du Liban de l’occupation Syrienne – une libération à laquelle peu de Libanais croyaient encore.

2004 - A cause de son allégeance à la Syrie et de son pacte tacite avec elle, Rafic Hariri toujours en poste de Premier ministre, se retrouva en première ligne des victimes potentielles d’une victoire de l’opposition menée contre lui et contre son gouvernement. A mesure que l’opposition gagnait le soutien de la communauté internationale, Hariri, menacé par les changements, ne pouvait plus se permettre de l’ignorer comme il l’avait fait jusque-là. Sa seule issue fut de préparer une volte face contre la Syrie – une volte face par laquelle il viendrait rejoindre l’opposition à son propre régime, affublant la Syrie de tous les maux qu’il prétendrait avoir été contraint de commettre à l’ombre de sa dictature. Il engloberait ainsi l’opposition chrétienne, la transformant en une opposition multiconfessionnelle dans laquelle il prendrait parti. Il garantirait ainsi son retour au poste de Premier Ministre au sein même des transformations qui se dessinaient. Enfin, il garantirait surtout son rôle exécutif du plan Saoudien en faveur duquel il continuerait à oeuvrer.

Mais dès les premiers signes de ce retournement - le 14 Février 2005 précisément, et alors qu’il venait de sortir d’une session parlementaire, une voiture piégée buttait contre la sienne, l’explosion remua tout Beyrouth et le blindage de la Mercedes ne pu rien y faire.

Avant même que les Libanais sous le choc ne réalisent qu’ils venaient d’être débarrassés de celui qui avait fait de leur démocratie son sultanat, qui avait instauré un régime de près de quinze ans de corruption, pactisé avec la dictature Syrienne, délibérément gaspillé et gonflé la dette publique, marginalisé les chrétiens, encouragé leur émigration, et cela pour la mise en oeuvre d’un plan Saoudien d’acquisition du Liban, et aussi, avant même que quelqu’un n’ait eu le temps de se poser la question de savoir qui a bien pu commettre ce meurtre, la Syrie (en ligne de mire de la nouvelle politique américaine) était ouvertement pointée du doigt, autant par l’opposition chrétienne qui avait payé le plus lourd tribut de sa dictature, que par d'autres communautés (notamment sunnite et druze) qui se dépêchèrent de rejoindre la cueillette du succès; le succès d'une libération annoncée.

Le tout fut orchestré par la communauté internationale, venue soutenir la thèse selon laquelle la Syrie était seule accusée d’avoir commis le meurtre, et cela, dans d’un gigantesque ‘festival’ organisé le 14 Mars 2005, place des Martyrs - une date devenue culte dans l’Histoire du Liban, ne serait-ce que par l’ampleur de la présence des manifestants. Mais une date qu’une année de recul fera apparaître comme grotesque au regard des promesses lancées à tout vent par des parlementaires en verve, qui ne voyaient de cet événement que l’occasion de lancer leur campagne pour les prochaines législatives.

A froid, est-il permis (surtout de nos jours) de se faire des convictions avant même de réfléchir? Est-il permis de se laisser aveugler par ce qu’une carte de route Américaine voudrait laisser croire? Et est-il permis de se forger une conviction, guidé par le seul sentiment d’hostilité qu’on peut à juste titre éprouver à l’égard de la tyrannie de l’occupation Syrienne? Mais indépendamment de ce que les Libanais auraient envie de croire, et indépendamment surtout, de ce qu’on voudrait leur faire croire, la Syrie avait-elle un intérêt à commettre un tel acte? Et de le commettre en plus, au moment précis où la Communauté Internationale l’accusait nommément de fomenter le terrorisme? Et s’il s’avérait que ce n’était pas la Syrie, si les libanais s’ouvraient à toutes les alternatives possibles, quel serait le protagoniste embarrassé par le maintien de Hariri en vie, au point de vouloir son élimination? C'est cela la vraie question:

Bien sûr, l’enquête internationale suit son cours, mais il apparaît de plus en plus clairement que cette enquête devient un outil de chantage aux mains de George W. Bush qui ne tient pas particulièrement à ce que le publique du 14 Mars apprenne une autre vérité que celle que son administration voudrait faire passer. Cependant la thèse la plus plausible - et la plus indépendante de tout parti pris, fut-il celui des opprimés de la tyrannie des Services de Renseignements, ou des familles de détenus dans les geôles syriennes, ou même de ceux qui nourrissent leur revanche pour quelque raison – cette thèse indépendante est la suivante:

En ayant voulu s’allier à une opposition qui s’était initialement formée contre lui, et en ayant voulu l’englober pour éviter d’en devenir la victime politique, Hariri brisait un équilibre en marche depuis près de quinze ans - un équilibre dans lequel la Monarchie Saoudienne menait à bien son plan, la Syrie était suffisamment bien placée pour laisser faire et en percevait le prix, et Hariri lui-même (ainsi que les hommes de son parti et de son entourage) gagnaient en pouvoir et en fortune, le tout au détriment de l’économie libanaise, mais aussi de son tissu social et confessionnel.

Mais avec le retournement annoncé de Hariri et la rupture de l’équilibre en place, le plus embarrassé allait être (avant et plus que quiconque) le protagoniste commanditaire du plan pour lequel Hariri n’était finalement qu’un exécutant, c’est-à-dire la Monarchie Saoudienne. Quand même ce retournement donnait à la Syrie une raison suffisante de vouloir se venger par un meurtre, elle gagnait bien d’avantage à s’en abstenir, (je dirai pourquoi). En revanche, ce retournement noyait la Monarchie dans une grande vulnérabilité, et c’est elle qui allait être désormais la plus embarrassée par le maintien en vie de celui qui en savait trop – trop sur son plan, trop sur ses intentions, trop pour se permettre d’entreprendre un tel retournement. En effet, pour la Monarchie, un Hariri en vie incarnerait désormais l’occasion offerte à la Syrie de mener une politique de chantage – elle qui possède dans ses archives quinze années de surveillance, de documents, d'enregistrements téléphoniques et bien d'autres détails compromettants qui constitueraient les preuves flagrantes des visées Saoudiennes sur le Liban. Ainsi la Syrie avait donc bien plus intérêt à ce que l’acteur et premier rôle du plan Saoudien demeure en vie, et elle pouvait déjà se frotter les mains à l’idée de se voir offrir l’occasion de contrôler la Monarchie avec son seul silence. Seule la Monarchie n’allait pas supporter d’être ainsi prise en tenaille, acculée à devoir payer le prix indéfini de ce silence, ou de subir le chantage des révélations d’un plan en totale contradiction avec l’image de sagesse et de modération que suscite le Royaume au regard de la communauté Arabe et Internationale. Pour la famille régnante, le moins coûteux des sacrifices était donc de commanditer (ou d’accépter) l’élimination du seul survivant complice de ses plans – ultime solution qui s’offrait à elle pour être blanchie et surtout délivrée. Délivrée donc d’un éventuel chantage, mais aussi, des représailles possibles d'un Islamisme montant, qui n'attend qu'une occasion de voir la Monarchie ternie ou éclaboussée par le scandale, pour justifier une nouvelle percée, ou la violence d’une représailles qui pourrait être fatale au régime monarchique lui-même.

Le meurtre s’avérait d’autant plus facile à commander que bien des hommes à Ghazi Kanaan - ex-chef des Services de Renseignements Syriens au Liban, et écarté par son propre régime - étaient encore en poste, connaissant parfaitement le terrain, et bien disposés à se laisser commanditer une tâche aussi lucrative, surtout qu’elle serait pour le compte d’une Monarchie pétrolière telle que l’Arabie.

La Résolution 1559 fut votée fin 2004, Hariri fut assassiné le 14 Février 2005. Une enquête internationale fut immédiatement mise sur les rails, et quelques mois après, Ghazi Kanaan se serait dit-on suicidé sans plus d'explication, c’est en tout cas la version du communiqué officiel de la presse Syrienne. La Monarchie Saoudienne s’en tirait ainsi à bon compte et pouvait enfin souffler de se voir totalement délivrée d’un chantage contraignant, salissant et coûteux, puisqu’en dehors de la logique déductive et du bon sens, aucune preuve vivante ni tangible ne pourrait désormais soutenir cette thèse…

… pas tant que les puits de pétrole continueraient de fonctionner à plein rendement, et pas tant que la Monarchie Saoudienne continuerait de jouer le rôle de principal satellite Américain au Moyen-Orient en tout cas.