Les 4 Vérités du Liban

par Essente, -------------------- avec le recul nécessaire pour mieux voir et comprendre. ---- © Essente, 2006.

22 octobre 2006

12 Juillet 2006 – Autopsie d’une Guerre Controversée

En déguisant son offensive sur le Liban avec le subterfuge de deux soldats enlevés derrière la ligne de frontière - un subterfuge qui, selon les normes américaines, bénéficie d’un statut politiquement correct, Israël s’offrait d’emblée le droit d’invoquer l’autodéfense – un droit que l’Administration Bush et Tony Blair entre autres, n’allaient pas tarder à lui reconnaître, évidement. Et en se positionnant ainsi dans la légitime défense, Israël pouvait faire appel à un soutien logistique et militaire que les Etats-Unis n’hésiteraient pas à lui accorder en cas de nécessité. Complicité oblige.

Complicité mais aussi, discrimination flagrante: En effet, il serait bon de rappeler qu'en prenant les deux soldats pour otages, le Hezbollah avait pour but de négocier la libération de prisonniers politiques détenus sans jugement dans les geôles israéliennes, certains (comme Samir el Kantar) depuis près de vingt ans. Tout comme il serait bon de rappeler que la ligne franchie par le Hezbollah pour effectuer sa prise est celle-là même qu’Israël avait occupé pendant plus de vingt ans, au mépris de la résolution 425 de l’ONU et en toute impunité.

Cependant, le momentum selon lequel l’offensive israélienne allait être déclenchée aurait dû suffire à écarter les soupçons qui planent encore sur la scène Libanaise - des soupçons irréfragables, forts desquels certains responsables du gouvernement libanais défendent encore l’idée que le Hezbollah serait lui-même responsable de cette offensive. Pourtant l’un des motifs les plus évidents de cette guerre fut d’exercer une pression sur le Président Iranien Ahmadinedjad, avant que n’expire l’ultimatum qui lui avait été accordé par l’Administration Bush, pour rendre compte de son programme nucléaire (le 31 Juillet). Il fallait par ailleurs que la Coupe du Monde de Football se soit achevée – car on ne détourne pas l’attention de 2 milliards de téléspectateurs concentrés sur un événement aux enjeux d’une telle importance pour les économies occidentales. Mais pour qui ne veut rien y voir, les deux soldats enlevés étaient là par hasard, et le momentum de l’offensive serait mis sur le compte de la simple coïncidence.

Un autre indice devait permettre aussi de déduire que cette guerre n’a pas été initiée par le Hezbollah, mais qu’elle a plutôt été le résultat d’un complot dans lequel le Hezbollah aurait été entraîné: Tout le monde sait bien que les Etats-Unis s’appliquent à compléter la faisabilité d’une guerre, avant de s’y engager. En effet, tout le monde garde encore en mémoire les préparatifs de l’invasion de l’Irak et la fameuse recherche des Armes de Destruction Massive (ADM) que Saddam Hussein était supposé détenir, soi-disant dans des bunkers sous terrains. Et tout le monde a bien vu que les chercheurs de l’ONU s’étaient engagés dans une enquête acharnée à la recherche de telles armes. Enfin tout le monde a bien vu que la recherche des ADM ayant été vaine, la raison de l’invasion de L’Irak par l’armée américaine était supposée tomber; or l’invasion a précisément eu lieu.

Par simple analogie, et maintenant que la campagne médiatique menée par l’Administration Bush contre le régime Iranien a achevé de préparer le peuple Américain à une attaque éventuelle de l’Iran, les renseignements américains se devaient de compléter les informations présumées manquantes sur les armes que l’Iran fabrique (et que le Hezbollah détient). Or le meilleur moyen pour compléter leur formulaire de faisabilité était de mettre ces armes à l’épreuve, d’où la deuxième raison de croire que la guerre de Juillet est le résultat d’une initiative Israélo américaine.

Enfin, une troisième raison milite en faveur de la théorie du complot Israélo américain: le sempiternel plan Kissinger qui n’a toujours pas abouti à l’implantation des Palestiniens réfugiés au Liban: Le pouvoir chrétien ayant été marginalisé par près de trois décennies de tutelle syrienne, en désarmant le Hezbollah par la force, Israël pensait abattre ainsi le dernier mur de résistance à l’implantation des Palestiniens au Liban, et accélérer le processus selon lequel elle signerait une paix avec le Liban sans autre condition - tout en sachant que cette seule condition n’est pas pour déplaire au clan Hariri Junior, à ses acolytes du 14 Mars, et au Pouvoir (sunnite) de Taëf en place, quand même les déclarations de ces derniers clameraient le contraire.

Mais malgré les multiples raisons de confirmer la théorie d’un complot contre le Hezbollah, la mauvaise foi qui prévaut dans l’esprit de certains responsables libanais dont l’allégeance à la puissance américaine n’est plus à prouver, cette mauvaise foi continue d’aveugler les esprits. Convaincus ou pas, ils camperont sur la théorie défendue par le tandem Israélo américain - théorie selon laquelle le Hezbollah est seul responsable de l’offensive. Or, quelques mois après la guerre, on pourra vérifier que les dissensions qui allaient naître autour de la responsabilité de ce déclenchement, ainsi que la discorde sunnite chiite qui s’en suivra, allaient confirmer la quatrième et principale raison d’affirmer que cette guerre est bel et bien un complot. Mais restons encore dans la chronologie:

Entre le 9 Juillet, (date de la finale France – Italie) et le 31 Juillet (date de l’ultimatum accordé à Ahmadinedjad), le 12 très précisément, le piège des deux soldats sera tendu, l’enlèvement aura lieu, et l’attaque Israélienne sera déclenchée. Cette guerre allait s’ouvrir sur quatre fronts simultanés: Quatre fronts conçus et planifiés de telle sorte à ce que l’issue de la guerre s’en trouve délibérément controversée – la controverse étant, dans ce cas précis, la clé même du complot, voire sa finalité, car elle sera exploitée sur le plan politique, je dirai pourquoi et comment:

- Le front médiatique, ou la latitude de pouvoir sauver la face:
Sachant qu’Israël joue dans cette guerre sa notoriété sur l’ensemble du monde Arabe et musulman, et qu’elle expose ainsi le culte de son invincibilité, un obscurcissement médiatique délibéré de la part du gouvernement israélien d’Olmerts allait permettre à ce dernier de dissimuler ses pertes ou de les nier, et cela, par le recours à la censure médiatique, au mensonge invérifiable et au camouflage. Par ailleurs, le resultat du rapport de test des armes Iraniennes devait être tenu secret.

- Le front diplomatique, ou la soupape de sécurité:
Avec le déclenchement de la guerre, des tractations tous azimuts allaient être initiées par les Etats-Unis au sein de l’ONU, afin qu’une résolution puisse imposer (ou retarder) la trêve, à tout moment jugé nécessaire par Israël.

- Le front ponctuel du Hezbollah, ou la défaite d’Israël:
Récupérer les deux otages enlevés, repousser les miliciens de la Résistance à 20 kilomètre de sa frontière, c’est-à-dire derrière la ligne du fleuve Litani, enfin détruire l’arsenal militaire du Hezbollah présumé constituer une menace pour la sécurité d’Israël, étaient les trois objectifs fixés par la Défence Israélienne et le commandement de Tsahal. Mais la Résistance du Hezbollah fut telle, qu’aucun des objectifs déclarés n’a pu être atteint - ce qui suffit à la Résistance, par la voix de son chef Sayed Hassan Nasrallah de se proclamer vainqueur, en dépit des massacres par ailleurs perpétrés, et des destructions spectaculaires causées sur le quatrième front: Le front de l’ensemble du Liban.

- Le front de l’ensemble du Liban, ou le spectacle d’une victoire frustrée:
En dehors des limites géographiques qui abritent le Hezbollah et son arsenal, l’attaque de l’aviation israélienne faisait d’une pierre deux coups, en détruisant les principales sources de revenu de l’économie libanaise: Son industrie (notamment agro alimentaire), son infrastructure touristique (pollution des plages), et son infrastructure routière (voies du transit commercial). Les images de ces destructions, ainsi que les massacres perpétrés sur la population civile rurale et les cris de révolte que ces massacres allaient engendrer, tout cela viserait à présenter aux yeux du monde (notamment Arabe et musulman) le spectacle d’une victoire militaire, supposée dissimuler l’échec que l’armée de Tsahal allait essuyer sur le front précédent, celui ponctuel du Hezbollah.

Voilà pour le plan de guerre.

Août 2006: Sur le plan politique, l’Administration Bush allait s’affairer à étendre la discorde sunnite chiite commencée en Irak: D’une part, cette administration alimentera la révolte et la haine des Résistants chiites contre le Président Bush, contre l’Amérique Républicaine en général, et contre la politique étrangère qu’incarne Condoliza Rice, en particulier. Par exemple, le gouvernement américain proposera à grande pompe médiatique d’approvisionner Israël en missiles à tête chercheuse, et cela alors même que la guerre contre le Hezbollah battait son plein. Par ailleurs, et au même moment, Mme Rice allait organiser un déjeuner convivial à l’ambassade américaine du Liban, un déjeuner dans lequel les pôles du 14 Mars et du gouvernement de Taëf étaient conviés. Et là, les convives s’entretiendront sur les modalités d’une victoire politique qu’ils se verraient offrir par leur médiation à l’ONU pour l’obtention d’une cessation des hostilités, d’où la résolution 1701.

Ainsi, le Hezbollah chiite considèrera avoir à son actif une victoire militaire que le pôle sunnite du pouvoir en place ne partagera ni ne reconnaîtra comme telle. Ce pouvoir ira même jusqu’à tenir le Hezbollah pour responsable (je l’ai déjà dit) des destructions causées par cette guerre. En revanche, fort du soutien américain, ou faible de son allégeance, ce pouvoir fera valoir pour seule victoire sa victoire politique à lui, celle par laquelle la Résolution 1701 de l’ONU a vu le jour – mais une victoire que le Hezbollah ne partagera ni ne reconnaîtra comme telle. D’où le début d'une discorde parfaitement complotée.

Quelques semaines après, cette discorde interconfessionnelle fera boule de neige: Le Hezbollah réclamera un droit de représentation gouvernementale sinon proportionnelle à sa popularité grandissante, du moins suffisante pour bloquer le recours au Tribunal Pénal International supposé statuer sur le meurtre de Hariri. Avec ce droit de blocage, le Hezbollah entend protéger son propre contentieux avec les Marines (1983), ainsi que le régime Syrien qui lui est allié, faisant valoir ses appréhensions quant à l’influence américaine sur le TPI, et la possibilité que l’administration Bush n’utilise ce recours comme un outil de chantage contre le régime de Bachar el Assad. Mais se voyant refuser l’équité de la représention par le nombre, les membres chiites du gouvernement démissionneront en masse, affublant ainsi le gouvernement pro Hariri d’une légalité constitutionnelle litigieuse.

Ainsi l’administration Bush aura réussi à tisser la trame d’une escalade entre les différents protagonistes qui représentent la mosaïque libanaise, et semé une discorde interconfessionnelle qui va alimenter le brasier commencé en Irak. Les résultats sur le terrain sont tels qu’ils vont soulever la question même de savoir si la victoire militaire du Hezbollah n’a pas été commandée à Israël par l’administration Bush, et si la destruction du Liban n’aura pas été le contrepoids d’une victoire accordée au Hezbollah, ou en d’autres termes, la rançon de la victoire frustrée d’Israël. Avec le recul, on peut se demander aussi, si le meurtre même de Hariri n’aura pas été le maillon déclencheur d’une chaîne qui conduit aujourd’hui à alimenter le feu de ce brasier – un brasier dont le principal bénéficiaire reste bien sûr, l’Etat d’Israël, le reste des protagonistes n’étant que les marionnettes du complot...

… des marionnettes intéressées à s’ancrer d’avantage dans une allégeance inconditionnelle à la politique américaine au Proche-Orient, quand même cette politique serait-elle désastreuse. Intéressées aussi à perpétuer le régime lucratif de la corruption instaurée par feu Rafic Hariri. Enfin intéressées à s’ériger une place de héros dans l’Histoire du Liban envers et contre toute prise de position héroique, mais en accéptant en revanche d’être le cheval de bataille de l’un des plans qui demeurent en course à la prédation du Liban, (voir le chapitre d’introduction).

© Essente, 2006
Traduction en anglais bienvenue.