Les 4 Vérités du Liban

par Essente, -------------------- avec le recul nécessaire pour mieux voir et comprendre. ---- © Essente, 2006.

22 octobre 2006

Le Hezbollah et les Chevaliers de la Table Ronde

D’un groupuscule islamiste terroriste, né du chao de la guerre civile et mené par un Imam (Toufayli) fugitif, poursuivi, et qui n’avait emprunté à l’idéologie Khomeyniste que la verve de violence qui l’autorisait à combattre la présence américaine sur le sol libanais en s’attaquant aux Marines (1983), le Hezbollah est progressivement devenu un parti politique en bonne et due forme, qui incarne à lui seul la Résistance à l’ennemi Israélien. Un pseudo Etat.

En l’absence d’un Etat supposé protéger et veiller aux droits de ceux qui avaient d’abord été des citoyens avant que de devenir des partisans de la Résistance, le Hezbollah prit ceux-là sous sa coupe, leur offrit un logement, un enseignement, un travail, des soins et leur rendit surtout leur dignité sapée – sapée non pas seulement par l’occupation ennemie, mais par des années de relégations au rang de l’oubli. Qui donc peut reprocher aujourd’hui aux Résistants du Hezbollah d’être devenus des durs disciplinés, des sages endoctrinés, ou un mélange des deux, mais dans tous les cas différents, méconnaissables?

Jusqu’en 2000, les opérations de guérillas menées par le Hezbollah contre l’armée de Tsahal avaient fini par rendre l’occupation du Liban Sud trop coûteuse pour Israël. En 2000 Yehud Barak - alors candidat à la formation d’un nouveau cabinet – intégrait un plan de retrait total du Liban à son programme électoral, et remportait les élections. Le Hezbollah récoltait ainsi le fruit de son courage et du sacrifice de ses martyrs. Mais la plus grande victoire du Hezbollah est bien plus politique que militaire, et celle-là, personne - pas même lui - n’en parle:

En mettant un terme à sa présence au Liban Sud, Israël croyait laisser derrière son retrait un piège présumé fatal pour le Liban: Pour Israël, une victoire tonitruante accordée au Hezbollah allait destabiliser le gouvernement Hariri en place, et libérer le souffle d’un extrémisme chiite avec tout ce qui en découlerait d’entrave au redressement économique et social du Liban. Israël pensait donc qu’avec un Hezbollah fort de sa victoire sur elle, le Liban, à l’instar de l’Iran, tomberait dans les mailles de l’extrémisme et d’une marginalisation quasi irréversible et définitive.

Or à peine l’armée de Tsahal s’était-elle retirée que Sayed Hassan Nasrallah (désormais Secrétaire Général et chef spirituel du Hezbollah) se pliait aux exigences du régime constitutionnel, en s’accordant contre toute attente avec la pratique démocratique. Aux législatives de 2005, le Hezbollah noua même des alliances avec toutes les factions en course et remporta la quasi totalité des sièges qu’il ambitionnait de gagner. L’erreur d’Israël fut donc de n’avoir pas vu que le Hezbollah était devenu suffisement populaire pour recourir à d'autres méthodes que celles édictées par les règles de la simple démocratie. Plus que d’avoir forcé Israël au retrait, c’est d’en avoir déjoué le piège qui constitue la plus grande victoire du Hezbollah. Et c'est sans doute la nécessité de rectifier ce tir qui sera à l’origine de la guerre qu’Israël déclenchera contre le Liban, en Juillet 2006.

Depuis la formation du Hezbollah et jusqu’à son étonnante métamorphose, certes l’Iran aurait financé son parcours, et certes il y aurait à redire. Aucune nation au monde ne peut accepter de voir un tiers de sa population endoctrinée par une nation tierce. Mais qu’a-t-on fait pour éviter que cela arrive? Et qu’a-t-on jamais proposé de mieux? Et d’abord, qui est celui qui aurait à redire? Serait-ce le sanguinaire qui se fait passer pour un Saint, mais qui n’a jamais cessé de pactiser avec le diable pour assouvir son avidité frustrée du Pouvoir, et qui prêche aujourd’hui la partition du Liban dans l’espoir de régner enfin sur un canton, à défaut d’être arrivé à la Présidence? Ou serait-ce l’héritier génital et politique du Roi de la corruption qui s’est affairé sa vie durant à vendre le Liban et le passeport des Libanais pour un autre passeport que lui, détenait déjà? Ou la girouette peut-être - cet autre pilier du 14 Mars dont la conception de l’intelligence consiste à demeurer insaisissable, et qui se fait un point d’honneur à défendre une prise de position et son contraire, pour être toujours prompt à virevolter au cas où?

Entre le Hezbollah d’un côté, et le 14 Mars de l’autre, la cohabitation de deux pôles au passé politique et aux idées aussi divergentes, mais que réunit le destin de devoir partager un même pouvoir, ne pouvait qu’aboutir à l’impasse dans laquelle le Liban se trouve aujourd'hui. La disparité des cohabitants au sein de ce pouvoir est telle, que l’impasse en question n’est plus d’ordre politique ; elle est quasi Freudienne:

Un pôle renvoie à l’autre l’image de ce que cet autre aurait dû être et qu’il n’a jamais été. L’autre revendique encore le leurre du 14 Mars 2005 comme un plébiscite à sa faveur. Le premier, soutenu par l’Iran et la Syrie, puise sa force dans la probité et le courage de sa résistance à l’ennemi sioniste. L’autre puise la sienne dans le soutien de puissances occidentales obstinées dans leur refus de remettre en question l’image du groupuscule terroriste qu’avait été le premier en 1983. En ajoutant à ces divergences les luttes internes pour le partage confessionnel du pouvoir, l’impasse dans laquelle se trouve le Liban se résume. La seule solution réside dans un dialogue à l’échelle nationale, organisé autour d’une table – une table dite ronde, puisque nul ne nierait en effet, que deux demi-cercles réunis forment un rond.

Pour comprendre les enjeux du dialogue en vigueur, il faut d’abord savoir que la mosaïque de la population Libanaise est composée d’environ 65% de musulmans (35% de chiites et 30% de sunnites), 30% de chrétiens et 5% de druzes, le tout ne faisant à peu près que 3.5 Millions d’habitants.

Alors quand les responsables sunnites ne manquent pas une occasion de clamer que "le Liban sera le dernier pays à signer la paix avec Israël," on peut lire derrière cette démagogie supposée surenchérir sur un anti-sionisme typiquement chiite, le piège. En réalité, cette déclaration insinue ce qu’aucun sunnite n’oserait dire ouvertement: "Nous oeuvrerons à l’implantation des 400.000 Palestiniens réfugiés au Liban, afin que la quote-part sunnite de la population Libanaise devienne majoritaire." La passage du dit au non-dit relève d’une évidente déduction: En effet, si tous les pays Arabes signent la paix avec Israël avant le Liban, il ne s’en trouvera plus un seul pour accueillir les réfugiés Palestiniens qu’on y déplacrait. Les réfugiés Palestiniens se trouveront donc implantés au Liban de fait, faisant de la communauté sunnite la plus importante en nombre de toutes. Cette déclaration n’est donc pas un simple Nasserisme autant qu’elle en a l’air.

Et quand les responsables du Hezbollah (chiite) répliquent qu’ils ne cèderont pas leurs armes avant la libération par Tsahal des Fermes de Chebaa, de Tilal Kfarchouba, de Koura el Sabeh, et autres contrées diluées dans les méandres des cartes géographiques aux frontières litigieuses, (et dont la libanité incertaine reste tributaire des preuves que détient le régime Syrien, allié de l’Iran), on peut lire derrière ces déclarations le gain de temps en armes que cherche à obtenir le Hezbollah, pour se prémunir contre la menace que constitue l'implantation palestinienne au Liban. Cela se confirme d’avantage avec la promesse de Hassan Nasrallah, réitérée à toutes les occasions dans cette formule: "Jamais et sous aucun prétexte nos armes ne se retourneront contre l’un quelconque de nos concitoyens Libanais." Comprendre: "Tant que les Palestiniens seront armés sous pretexte de la lutte pour la libération des territoirs occupés par Israël, le Hezbollah s’accrochera à ses armes, pour empêcher toute tentative d’implatation."

Enfin quand le gouvernement israëlien tend le piège de deux soldats à la frontière libanaise, en sachant parfaitement que le Hezbollah ne manquera pas de les prendre en otage (dans le but bien précis de les troquer contre ses propres détenus dans les geôles Israéliennes), en fait, il crée l’occasion de s’attaquer au Hezbollah, de détruire son arsenal, d’anéantir son infrastructure, et d’abattre ainsi le dernier mur de résistance à l’implantation des Palestiniens au Liban, mais tout en faisant croire au reste du monde qu’il ne fait qu’user de son droit de représailles. Malgré la démesure de la réaction israélienne à cet enlèvement, l’alibi sera soutenu par Georges Bush et Tony Blair, mais aussi par certains membres du rassemblement du 14 Mars, plus ou moins complices ou consentant à l’attaque du Hezbollah. Ce qui n’arrangera pas les retrouvailles autour de table ronde.